lundi 14 mars 2011

A l’interface du réel et de l’abstrait,

ou l’art de capter le sens des choses et la fragilité du monde


Nous révéler l’indicible, mettre au jour le sens caché des choses ; saisir le temps qui passe, non par goût de la nostalgie mais pour mieux capter la beauté fragile et la nature éphémère du monde où nous vivons : tel est le credo sur lequel Alain LAMY a fondé sa démarche dès sa sortie des Beaux-Arts de Rouen, puis de Paris, à la fin des années soixante. Né à Beuzeville près de Honfleur, la ville natale d’Eugène Boudin est « naturellement » son premier port d’attache artistique, sa première source d’inspiration. Mais il laisse à d’autres les quais du Vieux Bassin aux gréements mille fois représentés pour mettre en lumière la beauté singulière de l’activité charbonnière du port de commerce, aujourd’hui disparue. Un geste qui porte témoignage, un engagement culturel autant qu’un choix esthétique auquel Alain LAMY restera fidèle tout au long de son parcours. Quand bien même il se confrontera aux thèmes les plus variés, soumettant chacun à d’infinies déclinaisons en travailleur acharné, soucieux de traiter à fond son sujet.

Qu’il arpente les quais de Honfleur ou les chemins de campagne, inlassablement il ausculte et questionne le monde qui nous entoure à partir des objets et des points de vue les plus inattendus. Pour mieux nous interpeller, en nous invitant simplement à ouvrir l’œil. Ici, un lieu oublié, comme les grues et les docks de sa jeunesse, auxquels il redonne vie et couleurs ; là, un objet insolite dont on ne sait plus ce qu’il est ni à quoi il sert, comme ces bollards ou bittes d’amarrage, qu’il va traquer et photographier pendant des années, jusqu’à l’obsession. Il aime nous surprendre mais sait aussi nous charmer : poète sans lyre, il nous conte mille et une histoires sans paroles ni musique, pour mieux nous prendre au piège de ses rythmes bigarrés, et nous faire entrer dans une danse sans fin, aux accents de jazz.

Alain LAMY porte sur tout ce qui nous entoure un regard vif et pénétrant, où la sensibilité de l’artiste le dispute à la curiosité, toujours en éveil, du chercheur. Tel le physiologue, il n’aime rien tant que de se sentir en prise avec les différents milieux, éléments ou matériaux qui composent notre environnement, naturel ou fabriqué ; que de se colletter à la matière organique dont est fait le monde qu’on dit réel, avec la même énergie que celle qu’il met pour travailler la terre dans son jardin sarthois.

Comment s’étonner, dès lors, que cet infatigable défricheur, toujours posté à l’interface du réel et de l’abstrait, s’attelle aujourd’hui au paysage ? Ni prétexte « écolo », ni décor gratuit, mais miroir profond de l’âme, le végétal est pour l’artiste, qui a grandi entre mer et campagne, une source renouvelée d’interrogations. Un prétexte pour nous convier, une fois encore, à partager son bonheur étonné d’être au monde, fût-il en crise, et menacé.

Pour ce faire, Alain LAMY offre d’abord à Mère Nature une ode enthousiaste où les verts luisants des prairies normandes contrastent avec les flancs gorgés de soleil des falaises de la presqu’Île de Giens. Puis, pas à pas il nous met en garde. D’abord figuratives, ses variations infinies sur le thème de l’arbre qui cache la forêt évanescente se font de plus en plus épurées, les branches se font simples traits jetés sur la toile, jusqu’à ne plus former qu’une idée de l’arbre.

Soudain, l’on débouche sur une noire trouée dans la futaie, où l’artiste nous invite à nous engouffrer. A sa manière singulière, où se mêlent humanisme et malice, il nous place devant cette alternative : cette percée sera-t-elle notre sauvegarde, l’issue qui nous permettra de renaître, ou bien notre perte, l’orifice béant où l’humanité disparaîtra à jamais ? Entre L’Origine du monde et la fin du monde, saurons-nous faire le bon choix ?



Texte de Michel Mirandon, 19 février 2011



C.V. de Alain LAMY



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